Rares sont les films marocains qui se sont immiscés dans l’intimité profonde du
couple.
« Le jeu de l’amour » pourrait paraître comme un film atypique par rapport à la filmographie marocaine, en ce sens que l’intimité qu’il sonde est à la limite du danger, de la révélation la plus grave. Mais le tragique y est gai et détaché. Le film est plutôt l’instrument d’une connaissance émotionnelle. Il approche deux protagonistes, un homme et une femme, présents dans toutes les scènes, omnipotents, isolés, dans le grossissement d’une loupe, sans aucune irruption du réel, sinon l’inscription du décor, tel une scène où le couple se confronte par le dialogue plus que par la gestuelle.
Une théâtralité du cinéma se déploie alors. Car il s’agit plus de mise en scène que de réalisation. La caméra, subtile et laborieuse, est moins narrative qu’instrument de témoignage et de redéploiement du dispositif scénographique. Son mouvement filme un récit qui se construit à travers les âges du couple, lequel couple joue, raconte et met en scène son propre cheminement amoureux, fait de séparation et de retrouvailles, de questionnements et de confidences.
Le film est un récit, le récit de l’amour vécu comme un jeu, un jeu grave qui laisse place à la complexité des sentiments enfouis, à la jalousie, la hantise de l’infidélité…
Un récit qui nous impose une interrogation cruciale : pouvons-nous être sincères en reconstituant notre vie sentimentale ? Autrement : pouvons-nous refléter nos sentiments enfouis sur un miroir vraiment transparent ?
Là réside l’ultime point fort de ce film.
Mohamed SOUKRI
Le film est une vision philosophique subjective en rapport avec les questions existentialistes et humaines, et il est inspiré de l’idée de l’une des nouvelles du célèbre recueil de Kundera : « Risibles amours »…
Le film « Le jeu de l’amour » célèbre la beauté à deux niveaux :
- une beauté intérieure, intime : à travers l’affection et les sentiments intérieurs qu’expriment les amants l’un pour l’autre à travers les âges, et que le temps n’atténue ni efface… Et c’est un sentiment que le réalisateur a pu exprimer dans une vision alliant le naturel statique et le subjectif mouvementé. Ainsi, l’espace où se déroule l’action acquiert des dimensions humaines par la force de la nostalgie qui habite les deux amants. Surtout quant il s’attache aux lieux qui ont été jadis le théâtre de leurs confidences et leurs moments intimes…
- une beauté extérieur : à travers l’intérêt accordé au choix et à la diversité des lieux de tournage, avec un amour particulier pour la montagne et un respect de la majesté des lieux en général…
Ce film, intéressant à plus d’un titre, est le fruit de la rencontre des idées de deux hommes (M. Arious et D. Chouika) qui ont beaucoup donné au mouvement cinéphile marocain, et qui ont choisi le français de par leur ferme conviction que le cinéma est un langage universel basé sur l’image.
Il y a souvent un amalgame quand on soulève la question de la langue. Pour un film, de quelle langue s’agit-il et comment lire la beauté à travers elle ?
Il faut préciser que la langue dans le film est un savant mélange entre la langue comme ensemble de mots et la langue comme un ensemble de signes et symboles... Cela conduit à une sorte «de bilinguisme» : une langue parlée (matérialisée par les dialogues) et une langue qui se construit à travers l’image…
- Le film présente, par le biais des dialogues, des discussions et des confidences des deux époux/amants, un discours profond sur des questions et des thèmes universels : la femme, l’amour, la cohabitation, la reconnaissance de l’autre, l’autocritique, la duplicité…
- Le film présente, à travers ses cadrages expressifs et efficaces, ses jeux ombre/lumière, le jeu de ses comédiens, ses moments de silence expressifs…, une plastique visuelle cohérente qui permet à l’œil de capter le moment visuel après un léger clignotement des paupières…
Dans ce sens, je pense que ce film a gagné le pari de la langue.
Mohammed CHOUIKA
FICHE TECHNIQUE
Titre : «Le jeu de l’amour»
Genre : Long métrage fiction
Durée : 84 mn
Format : 35 mm / 1.85 / Couleur
Pellicule : Kodak
Moyens techniques : MPS
Laboratoire : CCM – Rabat
Scénario original : Mohamed ARIOUS
Adaptation & Réalisation :
Driss CHOUIKA
1er Assistant : Ali TAHIRI
Scripte : Meryem HSINE
Montage : Njoud JADDAD
Musique & mixage : Hicham Amadras
Décors : Tayeb ALAOUI
Accessoires : Tahar TAOUSSI
Maquillage & coiffure : Zineb TAOUSSI
Costumes : Fatima-Zahra ZIDANI
Production : Aladin Films
Zakaria Lahlali
Productrice déléguée : Hind BELKACEM
Régie générale : Azzeddine TAOUSSI
Régisseur : Zakaria Lahlali
Interprétation : Younes MEGRI
Amal AYOUCH
Hanane NIZAR
Kaoutar OUAZZANI
Direction photo : Fadil CHOUIKA
1er Assistant : Larbi SAMI
2è Assistant : Adil AYOUB
Chef électro : Kamal MOUTAABID
Electro : Brahim HADDI
Chef machiniste : Bouchaib TADIMI
Machiniste : Chafik NAMCHAOUI
Ingénieur Son : Taoufik MIKRAZ
Assistant : Abdellah ALAOUI
INTERVIEW
REALISATEUR
1 – Quelles sont les raisons du choix d’un scénario aussi complexe ?
C’est scénario qui m’a séduit dès la lecture de la première version. L’idée est intéressante car elle touche la profondeur des sentiments humains, et le traitement est original de par son approche multidimensionnelle des rapports humains amour/haine, confiance/jalousie, fidélité/trahison, réalité/représentation…
La complexité est imposée par ce choix de traitement. On aurait pu opter pour un traitement linéaire et unidimensionnel, mais cela aurait enlevé toute la saveur et et l’intérêt de la confrontation complexe des sentiments du couple.
C’est un défi que nous avons pris le risque de relever.. Et c’est aux spectateurs de juger le résultat.
2 – Pourquoi le choix de la langue française ?
Le choix de la langue s’est imposé de lui-même. Il est difficile de rendre la profondeur des dialogues avec toutes les références littéraires sous-jacentes avec l’arabe dialectal ; et l’arabe classique limiterait sérieusement l’audience du film.
En plus, je suis convaincu que le cinéma est un langage universel basé sur l’image, et dans lequel toutes les langues se valent. Par ailleurs, on peut très bien réaliser des versions dans toutes les langues qu’on veut. C’est une simple question de moyens.
3 – Quelles catégories de public cibleriez-vous ?
Tous les cinéphiles ; c-à-d tous ceux qui aiment et apprécient des moments de vrai cinéma. Un cinéma qui fait rêver, réfléchir, se poser des questions, dialoguer indirectement avec les Autres, avec d’autres cultures, d’autres mentalités. Un cinéma qui laisse des traces, ne serait-ce qu’une ambiance frappante, un beau cadre, un mouvement de caméra expressif, une image bien composée, un geste symbolique, une performance attachante d’un jeu de comédien… Pas un cinéma de consommation courante et éphémère.
Driss CHOUIKA
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